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12.12.2023

«Les allergies touchent tous les domaines de la vie.»

Dans quelle mesure les allergies affectent-elles la santé psychique des personnes concernées? Eva Kathriner est psychologue FSP spécialisée dans la psychologie et la psychothérapie de l’enfance et de l’adolescence. Dans cet interview, elle explique les points les plus importants sur le thème des allergies et du psychisme.

Madame Kathriner, quelle est votre expérience personnelle avec les allergies?

Eva Kathriner: J’ai plusieurs personnes concernées dans mon entourage et je suis donc extrêmement sensibilisée à ce thème, particulièrement parce que les allergies entraînent souvent une sensation d’insécurité.

Avez-vous souvent des personnes allergiques qui vous consultent?

Quelques-uns seulement dans mon cabinet. Les allergies accompagnent souvent d’autres problèmes et ne sont pas la raison principale d’une consultation. Ces personnes souffrent, par exemple, de problèmes de sommeil parce qu’elles ont une allergie pollinique qui les tient éveillées la nuit. Ce problème de sommeil influence à son tour le mental.

Avez-vous déjà eu des cas où vous étiez la mauvaise interlocutrice et ne pouviez pas aider?

Jusqu’à présent, j’ai heureusement pu bien aider en cas de thèmes associés aux allergies, ce qui ne signifie cependant pas que j’ai pu tout régler seule. Parfois, j’étais plutôt le point d’ancrage pour prendre les mesures nécessaires, par exemple en recommandant un bilan médical, en connectant plusieurs spécialistes ou en recommandant à la personne de s’adresser à des services spécialisés comme le Centre d’Allergie Suisse.

Une allergie est une maladie chronique. Quel est l’impact d’une maladie durable sur le mental de la personne concernée?

La réponse n’est pas simple. Cela dépend d’abord de la gravité de l’allergie: les différences sont déjà énormes rien qu’à ce niveau. Il y a ensuite les différences en ce qui concerne les substances allergisantes. Un exemple: si quelqu’un ne tolère pas les moules, il peut facilement les éviter, ce qui n’est pas le cas s’il est atteint d’une allergie pollinique. Certaines substances se trouvent aussi dans les aliments de base. Dans ce cas aussi, difficile d’y échapper. Et pour finir, il y a également le degré de contrôle.

Y a-t-il aussi des facteurs décisifs en ce qui concerne la personne?

Il y a des personnes qui ont toujours tendance à voir le verre à demi vide. C’est la même chose avec les allergies: on peut se concentrer sur toutes les restrictions ou décider d’en tirer le meilleur parti et de l’accepter comme faisant part de sa vie.

Quelles sont les autres influences?

Les allergies alimentaires peuvent entraîner d’importantes restrictions. Principalement parce que certaines activités ne sont plus possibles: pas question d’aller spontanément dans un restaurant ou obligation de choisir des hôtels prêtant attention aux allergies pour les vacances. Ces restrictions peuvent être brutales, surtout pour les enfants. Les parents d’un enfant qui n’est plus invité aux fêtes d’anniversaire à cause de son allergie alimentaire en savent quelque chose. Les enfants peuvent même être socialement exclus s’ils sont invités, mais ne peuvent pas manger le gâteau d’anniversaire. Dans le pire des cas, il ou elle se sent mis à l’écart et seul-e.

Les fortes allergies peuvent mettre la vie en danger et faire peur. Qu’est-ce que cela fait avec la personne et comment gérer cette situation?

En principe, la peur est un sentiment important. Elle assure notre survie et elle nous protège des situations dangereuses. Lorsque la peur a une fonction d’alerte, elle est utile et judicieuse. Mais la peur peut aussi paralyser et peser comme une ombre sur la vie de la personne. Celui ou celle qui n’ose plus se mêler aux autres peut développer une dépression. Un point est important: la panique éventuelle des parents ne doit pas être transmise aux enfants. Les parents ont un rôle important à jouer lorsqu’il s’agit des peurs de leur enfant. Leur propre peur ne doit pas influencer le vécu de l’enfant.

Est-ce que les enfants concernés ressentent cette peur autrement?

Je pense que oui. C’est aussi lié au développement du cerveau des enfants. Un enfant âgé d’un ou deux ans ne peut généralement pas encore évaluer correctement les dangers. Mais s’il apprend de ses parents dès le début comment gérer son allergie, il ou elle pourra plus tard la contrôler. Cette attitude peut grandement contribuer à vivre une vie heureuse malgré l’allergie.

Est-ce que ce fardeau peut éventuellement entraîner des maladies psychiques, comme des dépressions ou des troubles anxieux?

Oui, malheureusement. La peur peut justement mener à ce que les personnes ne pratiquent plus leurs hobbies ou se retirent de la vie sociale. L’insécurité joue également un rôle: soudain, on n’est plus invité parce que tous ont peur de faire quelque chose de faux. Les personnes concernées perdent ainsi leurs contacts sociaux, ce qui peut mener à une dépression.

Une guérison rapide est rare dans les maladies chroniques comme les allergies. Comment trouver une bonne manière de les gérer?

C’est un thème interdisciplinaire. Il faut aussi bien s’informer sur le plan médical. S’échanger avec d’autres personnes également concernées peut aider. On se sent plus sûr de soi et on a le contrôle. Sur le plan mental, se concentrer sur les choses positives est utile: en pratiquant les hobbies qui font du bien, par exemple, en profitant de la nature ou en pratiquant consciemment des méthodes de relaxation ciblées et en renforçant ses propres ressources.

Une allergie sape également toujours le moral. Comment s’y prendre avec cette charge?

Il n’y a pas de recette valable pour tous. S’échanger et se connecter avec d’autres personnes concernées et ses proches est utile pour de nombreuses personnes. Il s’agit ici de discuter de la situation et de savoir que l’on n’est pas seul. Se sentir compris est important pour le moral.

Comment remarquer si les enfants sont en souffrance?

Ici aussi, cela varie fortement, parce que les enfants réagissent souvent totalement autrement que les adultes. Des changements qui durent ou l’apparition d’un comportement agressif ou de pleurnicheries sont un signe possible de frustration. Des troubles du sommeil, un changement des habitudes alimentaires ou une régression du développement peuvent indiquer des problèmes psychiques. Je recommande aux parents de se fier à leur propre intuition. Si un enfant ne va pas bien, il faut le prendre au sérieux et demander conseil.

Est-ce que les facteurs émotionnels peuvent avoir une influence sur les troubles allergiques?

Une chose est sûre: le corps et l’esprit forment une unité. Si vous êtes stressé, vous êtes plus sensible aux infections. Si vous avez un bon mental, vous vous sentirez également mieux sur le plan physique.

Est-ce contrôlable? Et si oui, comment?

Ce serait trop simple de dire que mon allergie disparaîtra si je suis bien relax et que je fais attention à moi. Mais certains troubles allergiques peuvent éventuellement être plus fréquents en cas de charge supplémentaire. Cela vaut donc la peine de se détendre suffisamment et de se concentrer sur autre chose. Accepter son allergie et ne pas toujours la mettre au centre aide au quotidien.

Y a-t-il des signes d’alarme pour une charge psychologique à ne pas ignorer?

Tout cela dépend de son degré d’autoréflexion. Certaines personnes ne réagissent qu’après des retours de leur entourage. De nombreuses choses s’installent petit à petit et l’on s’y habitue, ce qui peut aussi être dangereux.

Est-ce que les personnes concernées sont gênées d’accepter de l’aide?

Cela dépend de l’aide. Selon mon expérience, les symptômes physiques sont plus vite perçus et pris au sérieux; ils ne sont pas aussi stigmatisants. C’est exactement l’inverse en psychothérapie. Cela est dû à la perception des problèmes psychiques dans notre société. De nombreuses personnes acceptent difficilement d’être aidées et pensent qu’elles peuvent ou doivent résoudre elles-mêmes leurs problèmes psychiques.

Quel était votre plus grand succès en ce qui concerne les personnes allergiques?

Je ne peux pas vous donner d’exemple. Ce qui me satisfait est plutôt de pouvoir changer durablement quelque chose, de mettre un processus en route et de pouvoir ainsi rendre la personne plus forte. Il s’agit du bon sentiment qui reste et de la sécurité que l’on peut transmettre. Un aspect est important et toujours touchant, surtout dans mon travail avec les enfants et adolescents: lorsque je vois que des jeunes gens retrouvent le courage et le plaisir de vivre et que les parents peuvent de nouveau s’asseoir et se détendre à cause de mon travail, c’est pour moi la meilleure réussite.

Sur la personne: Eva Kathriner est psychologue FSP spécialisée dans la psychologie et la psychothérapie de l’enfance et de l’adolescence.

Interview de Denis Jeitziner, parue dans aha!magazin 2023, auquel on peut s'abonner gratuitement.

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